Paris Match : une presse fidèle à des valeurs républicaines coloniales au service d’un « Pinochet arabe » laïc?

 

« En terre arabo islamique, de quoi l’actualité  politique est-elle faite ? Une fois cette question posée, est-il possible d’inscrire la quête d’une réponse dans une démarche cohérente ? François Burgat. L’Islamisme en face.

 

Aussi  énigmatique qu’outrageante  la rencontre de Paris Match et du dictateur génocidaire Bachar al Assad marque une fois de plus l’intention formelle du maintien d’un ordre d’ autoritarisme  mondial  à  l’effigie mortuaire de propagande médiatique sanglante dont l’intention de ruiner tous les efforts d’aide  destinée aux millions de réfugiés syriens, en ce moment de catastrophe humanitaire effroyable,  pense se révéler efficace mais ne fera guère  le poids face aux valeurs démocrates fructifiées dans les élans de générosité des donateurs français de toutes confessions,  de tous horizons. Ce trublion  de la presse traditionnelle française en faillite morale évidente  nous avait habitués à bien des silences médiatiques sur les alliances et soutiens inconditionnels d’hommes politiques français de renoms à l’Etat génocidaire d’Israël pour les mettre plus en valeur. Devenu le support ô combien sociologique d’analyses de la population française, ce thermomètre des tensions incontrôlées d’audience friande d’adrénaline n’a pas fini de déployer son armada de titres racoleurs qui calmeraient certaines pulsions d’émancipations intellectuelles dans les salles d’attentes de médecins spécialistes et de dentistes.

Du niqab de Madonna à Bachar al Assad … il fallait oser !

 

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Photo de Paris Match. Régis le Sommier chez Bachar al Assad.

Régis le Sommier envoyé spécial de Paris Match à Damas prend des gants de velours pour décrire Bachar al Assad d’une manière aimable et séduisante qu’on en oublierait presque que ce « Pinochet arabe », pour reprendre l’expression adéquate de François Burgat  politologue français du monde arabe,  est un génocidaire. Dans sa  courte vidéo « making off [i]», il relate son entretien d’une heure. Son langage frappe une audience avertie : « Tête à tête cordial (…) quelqu’un de chaleureux et d’accueillant, (….) pas du tout un monstre ou quelqu’un de froid. Il voit le monde syrien se dégrader, détérioré (….) on a le sentiment que c’est quelqu’un qui vit un peu assiégé. (…) Sa profession d’origine est médecin, il a gardé une manière de démontrer ses phrases avec un langage gestuelle des mains assez intéressant, c’est pas quelqu’un de militaire, de rigide, il a une façon de penser par interrogations ». Après un suivi de plus de trois ans du conflit syrien on a du mal à encaisser la  vision subjective  apportée  par le travail de Régis le Sommier. Elle est une réalité tronquée,  fondée sur des émissions de mots décalés des actions barbares ordonnées  par le régime de Bachar al Assad. Elle  est fondée également sur une communication gestuelle apprise et répétée pour l’occasion, sur  des vues urbaines imposées de coins de quartier non détériorés qui donnent au final, une fois de plus,  raison à cette pratique d’ « embedded », (c’est – à – dire de journaliste étranger attaché au chef d’Etat autoritaire qui lui fait cadeau de venir sur son sol), qu’on appellerait communément «  luxuary hotel’s investigation» que le correspondant de guerre Philip Gibs  utilise dans « The pageant of the years »  pour décrire les correspondants de guerre en Iraq  qui relataient de leurs hôtels luxueux « une  réalité » subjective en vue de faire oublier à l’ audience internationale un drame à huis clos. C’est par conséquent une interview cadrée, dirigée  au millimètre  près qui ne laisse aucune  liberté au journaliste, aucun espace d’investigation objectif possible. Les esquives faites à des questions posées par Régis le Sommier démontrent bien que l’entretien devait être mené par Bachar al Assad lui seul ! L’interviewé devient l’éditeur qui choisit quoi et comment  reporter.  C’est comme revenir à la glorification stalinienne du culte de la personnalité où seule la parole donnée du tyran  compte plus que le poids des images et des vidéos relayées au péril de leur vie par des milliers de  militants journalistes syriens. Les photos prises en Syrie tous les jours et les vidéos filmées sont  consultables sur les réseaux sociaux par tous les journalistes du monde qui ont un sens de l’éthique.

 De plus un chef d’Etat est un chef   politique conscient que l’Etat qu’il gouverne est le cadre de naissance et de développement de ses pouvoirs politiques. Il incombe donc à Bachar al Assad la  responsabilité  plénipotentiaire  des crimes contre l’humanité qu’il a puissamment orchestrés  depuis quatre ans sur la population syrienne sans que cela ne gêne les grands chefs de ce monde, pis sans que cela ne change le droit international public par une possible cassure des vétos russe et chinois. L’intervention de l’Otan en Libye donnerait – elle raison à Bachar al Assad ? Utiliser le cas Libyen pour se dédouaner des milliers de bombardements ciblés sur des citoyens non armés, sur des villes entières, des hôpitaux et des écoles  en Syrie  tout en occultant la complicité précieuse de la communauté internationale qui a laissé faire tout ceci et n’interviendra jamais c’est aller fort en besogne. Quand bien même aujourd’hui les avions de la coalition tournent  autour de Raqqa,  ils s’effacent un instant pour laisser les avions de l’armée régulière bombarder des maisons de  civils non armés, puis reviennent faire leur ronde sans broncher ! Cet extrait de Wladimir Glasman posté dans un statut sur sa page Facebook résume avec connaissance parfaite cette hypocrisie qu’aucun journaliste n’ose relayer dans ses articles : « des centaines d’habitants de Raqqa qu’il avait écrasés sous les bombes de son aviation au cours de la semaine précédente et aux civils des villes révoltées de Syrie auxquels il réserve dans les jours à venir un sort identique. Le coût humain, pour son armée, de cette stratégie, n’a pas semblé l’affecter le moins du monde. Quant à la population syrienne, qui a perdu beaucoup plus – peut-être le double – que les 200 000 victimes recensées par les organisations spécialisées, cela fait longtemps, on le sait, qu’il n’en a rien à faire… »

 

La menace  jihadiste : le cache- misère de l’argumentaire médiatique  de Bachar al Assad.

La médiatisation accrue des jihadistes internationaux de Da’ech dans la presse internationale a favorisé la position dominante du régime d’Al Assad. C’est au Venezuela,  par l’intermédiaire de la chaîne  anti-impérialiste Telesur que l’on apprendra  que le Président Barak Obama a décidé une collaboration étroite avec le régime de Bachar al Assad pour exterminer les jihadistes.  Par le contraste qu’il met en position de force à travers sa « sérénité » Bachar al Assad dissimule un état faible et une fin proche. Il a voulu confessionnaliser le conflit syrien pour rendre légitime sa barbarie  par la menace jihadiste. Comme le rappelle à propos François Burgat « Ce dont je veux me démarquer, c’est l’idée que  cela a été d’abord toute la société syrienne, dont les chrétiens et/ou la gauche laïque et républicaine qui s’est rebellée, et puis, progressivement que la révolte s’est rétrécie aux seuls islamistes ». Naomi Ramirez viendra renforcer la pertinence de la réflexion en citant dans son « Analyse de la stratégie et les buts des Frères Musulmans dans la révolution syrienne » Molhem al Droubi l’un des membres proéminents des Frères Musulmans syriens. Ce dernier nous apprend que  janvier 2011 marque le début de l’engagement des Frères Musulmans dans ce qui deviendra par la suite la Révolution Syrienne. Ils s’étaient réuni pour étudier le cas des révolutions tunisienne et égyptienne  et avaient proposé le plan « Erhal Bashar » (Dégage Bachar) dans une optique pacifique en accord avec les aspirations d’une majorité de la population. François Burgat rappelle également dans son analyse de «  La crise syrienne au prisme de la variable religieuse » que : « La laïcité du régime, certes héritée de l’air nassériste et baasiste du temps, avait en réalité longtemps masqué ainsi la crainte des élites alaouites d’apparaître comme illégitimes face à la banalisation, en cours en terre arabe, de l’usage politique du lexique religieux de la majorité sunnite ».  Ainsi l’audience française comprendra que le raccourci étroit emprunté par Bachar al Assad visait à cacher ses premiers desseins semblables à ce que jadis son défunt père avait commencé en 1982 à Hama[ii] : éliminer une opposition non portée réellement par toute la population syrienne  cependant bien présente et menaçante par son caractère rebelle capable d’une islamisation par le bas toujours dans l’optique d’une unification du peuple syrien avec toutes ses composantes confessionnelles, et surtout en désaccord avec une intervention étrangère. Enfin dans cette interview Bachar al Assad se détache de toute participation à la fabrication dans le processus du « printemps jihadiste » en pointant du doigt la terre de provenance d’Al Baghdâdi et son incarcération par les étasuniens.  Ce que Bachar al Assad oublie de mentionner c’est qu’il avait fomenté un scénario de prise d’armes en provenance d’Iraq en 2011 à la frontière par son service des douanes alors que les syriens manifestaient pacifiquement. Lui, criait au complot et à l’ingérence jihadiste tout en prenant soin de stocker les armes dans ses approvisionnements et de filmer un homme qu’il avait payé pour véhiculer son scénario bien ficelé. Ainsi il laissait courir que les jihadistes étaient aux portes de la Syrie et qu’ils allaient semer le désordre. A ce stade précoce de la révolution syrienne il n’y avait pas du tout de présence jihadiste en Syrie.  Ce n’est pas faute que de  mettre  dans ce contexte médiatique saugrenu ce grand  mensonge.

Nous vous avons compris !

Serait-il loin ce temps où déjà la propagande de l’armée  coloniale française était relayée par cette presse à scandale ? Nous n’en sommes pas si sûrs. Cette rencontre avec Bachar al Assad se fait le porte – étendard d’un  relent nauséabond qui plongera les réfugiés syriens dans un désespoir passager et ramènera  sans conteste une large  tranche de la population française de « seconde zone » à leur passé historique  douloureux de peuples indigènes colonisés. Rappelez-vous « Offensive Espérance » du 16 juin 1946,   numéro 375 de Paris Match avec en couverture une photo de François Pagès sur laquelle y était inscrit « La première grande bataille de la pacification de l’Algérie vient d’être livrée et gagnée par les appelés sous les ordres du général Dufour. Les fellagas avaient fait du massif du Guergour un camp retranché. Ils en ont été chassés ». L’armée coloniale française avait jadis communiqué des mensonges sur ces algériens affublés stricto sensu  du statut de  terroristes pour justifier une opération de « ratissage » et non de « pacification ».  Gardez- bien en mémoire le « grand massacre de Hama »[iii]  en  février 1982 durant lequel le sanguinaire Hafez  al Assad avait ordonné dans sa chasse aux sorcières des Frères Musulmans de massacrer en masse les habitants d’une ville qu’il détruisit toute entière en guise d’exemple ! Au-delà de sa mission faussement rédemptrice, cette « exclusivité » accordée à un bafoueur des Droits de l’Homme,  fils du même Hafez al Assad, conserve dans « l’écho de cette histoire déjà ancienne mais pourtant si proche qui résonne sans doute aujourd’hui dans les titres de nos gazettes [iv]» toute la barbarie bien contrôlée sous le prisme médiatique d’une presse alignée à un agenda politique internationale cruel.

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« Offensive Espérance » du 16 juin 1946,   numéro 375 de Paris Match avec en couverture une photo de François Pagès sur laquelle y était inscrit « La première grande bataille de la pacification de l’Algérie vient d’être livrée et gagnée par les appelés sous les ordres du général Dufour. Les fellagas avaient fait du massif du Guergour un camp retranché. Ils en ont été chassés ».

Relayer  une  propagande coloniale après avoir subi celle des nazis sous l’occupation allemande pour plus tard offrir à l’audience française  la parole  d’un dictateur syrien qui maîtrise la P.N.L  et  l’art du « pseudo event » est une  mise en parallèle utile  non tirée par les cheveux des injections de mensonges pour  comprendre le chemin de raisonnement emprunté par cette  presse d’ « infotainement » dans sa fabrique d’informations. Ainsi,  Bachar al Assad  en l’instant d’une interview philosophie sur sa condition  d’homme d’Etat sous dominations étrangères  menacé par les jihadistes (qu’il n’avait jamais bombardés, ni même inquiétés),   sans réelle gouvernance et par conséquent sans responsabilité dans le génocide  de la population syrienne ni dans la destruction des sites archéologiques, de villes entières, et d’animaux même. « Le philosophe fera le bon mensonge, celui qui est juste nécessaire et suffisant, parce qu’il sait seul ce qu’est le mensonge » écrivait Jacques Rancière.

Contre  cette mascarade médiatique : le combat des humanitaires.

L’interview exclusive de Paris Match tombe au moment où les aides humanitaires adressées au million de réfugiés syriens sont dorénavant supprimées par les Nations Unies  alors que l’hiver rude s’installe. Coïncidence ou participation à l’affaiblissement des réfugiés syriens qu’ils laissent crever de faim et de froid? Nous pencherons pour la seconde hypothèse. Ces injections de propagande ne servent en rien la Nation française multiculturelle affectée par une crise économique. Elles ne contribuent en rien au désir d’un vivre ensembles. Elles n’ont de but que d’affaiblir les esprits pour innocenter un tyran aux yeux de la population française, pour l’éloigner de la barbarie de Bachar al Assad, pour la couper de la réalité et la plonger dans un silence profond complice. Elles peuvent pareillement avoir un effet inverse destructeur et d’incitation à la haine, d’une recrudescence de l’islamophobie et d’un renforcement des acteurs d’extrême-droite.

De nombreuses associations franco-syriennes et non syriennes s’engagent depuis quatre ans à aider les syriens demeurés soit dans les zones assiégées soit  libérées mais aussi les millions de  réfugiés syriens qui ont fui les bombardements du régime syrien, les violences physiques et les abus sexuels quotidiens, les incarcérations injustes dans les geôles d’Al Assad où l’enfer attend quiconque a le malheur d’y être mis.

Paris Match nous offre sur un plateau de sang  une interview de Bachar al Assad sans nous offrir en contrepartie une interview d’opposant syrien réfugié en France à Paris. Que de manque d’impartialité et d’éthique journalistique d’une presse qui veut toucher aux nuances des « affreuses étoiles » mondiales,  même les plus sanguinaires  : de son silence sur les complices d’Apartheid en Palestine  au  soutien médiatique de tyran génocidaire pour en fin de compte brûler son âme, sans le moindre état d’âme devant la pis crise humanitaire mondiale  qui sévit actuellement en Syrie et qui ne trouverait d’issue possible  qu’avec une mobilisation accrue de donateurs!

Le combat continue !

Lilia Marsali

[i] https://www.youtube.com/watch?v=zZSU5wBsS-w#t=215

[ii] https://syrianfacts.wordpress.com/2012/02/02/apres-le-massacre-de-hama-en-1982-un-massacre-semblable-en-2012/

[iii] https://syrianfacts.wordpress.com/2012/01/09/le-grand-massacre-de-hama/

[iv] In L’Islamisme en face, François Burgat.

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